Bonjour à tous. Je suis heureuse et honorée de participer à ce 2e Forum mondial sur le handicap et la société de l’information, en présence d’acteurs distingués du domaine.
Aujourd’hui, je vais présenter un projet-pilote réalisé dans la dernière année visant à la mise en place d’une communauté virtuelle de pratique au sein d’un réseau d’organisations pour personnes handicapées au Québec.
Dans cette présentation, nous regarderons les points suivants :
J’aimerais tout d’abord vous donner un peu d’information générale afin de mieux comprendre le contexte de ce projet.
Le Québec est une province du Canada et bien que le reste du pays soit anglophone, la langue principale au Québec est le français. C’est une très grande province sur le plan géographique et sa population est d’environ 7 millions de personnes.
Parmi ces 7 million de personnes, plus d’un million sont classées comme ayant une déficience. Donc, plus de 15 % de la population québécoise vit un handicap. Ce taux peut sembler haut mais nous devons considérer notre population âgée sans cesse croissante, parmi laquelle on retrouve de plus en plus de personnes présentant des problèmes physiques ou de santé.
Le profile socioéconomique des Québécois handicapés est dans l’ensemble similaire à ce que l’on retrouve dans la plupart des pays industrialisés, c’est-à-dire qu’un certain progrès a été réalisé dans les trente dernières années afin de faciliter leur participation dans la société (lois, programmes, services, etc.). Cependant, les personnes handicapées au Québec accusent un retard important comparativement au reste de la population, et ce, qu’il s’agisse d’accès à l’éducation ou à l’emploi, à des services de soutien à l’autonomie, à des revenus, etc. En somme, les personnes handicapées sont les moins instruites, les moins présentes sur le marché de travail et les plus pauvres des populations marginalisées au Québec.
De nombreuses organisations travaillent dans le but d’améliorer les conditions de vie des personnes handicapées. Il existe des centaines d’organisations travaillant à différents niveaux (provincial, régional ou local) et sur des aspects spécifiques touchant les personnes handicapées. Sans surprise, ces organisations sont sous-financées, surchargées et ont peu de ressources humaines et doivent habituellement composer avec des besoins très primaires (maintien à domicile, transport adapté, accessibilité architecturale, éducation, etc.). Une partie importante de leur travail s’appuie sur le partenariat, les communications, la collaboration, l’accès et le partage de l’information.
Plusieurs de ces organisations accusent un retard technologique. Leur utilisation des technologies de l’information et des communications (TIC) se limite principalement au courriel et la majorité des organisations n’ont pas de site Web. Leur engagement dans le domaine de l’accessibilité aux TIC est aussi très limité, elles n’ont pas les ressources et le temps de s’approprier ces problématiques dont la complexité peut les intimider. Un manque de ressources et de documentation en français peut aussi représenter une difficulté.
Le projet PHARE (Personnes Handicapées et Accessibilité aux Ressources de la E-collaboration) souhaitait doter les organisations pour personnes handicapées de moyens technologiques leur permettant de travailler plus facilement et de manière plus efficace ensemble. Le projet a ciblé un réseau particulier de coalitions régionales, l’Alliance québécoise des regroupements régionaux pour l’intégration des personnes handicapées (AQRIPH), oeuvrant dans les 18 régions administratives de la province. Ce réseau est organisé selon un modèle de pyramide inversée, ses administrateurs fondant leurs décisions sur les besoins exprimés par les personnes handicapées des 350 organismes membres locaux qui représentent la base de l’organisation. Ces membres transmettent ensuite leurs besoins aux coalitions régionales qui, elles, déterminent les orientations de l’AQRIPH en étant membres d’un conseil d’administration provincial.
Ce vaste réseau dépend de la collaboration et du partage de l’information et fait face à de grands défis en vue notamment des distances géographiques qui séparent les organisations membres.
L’objectif principal du projet était de mettre en place une communauté virtuelle de pratique pour les organisations pour personnes handicapées au Québec. Cette communauté de pratique pourrait ainsi aider ces organisations à :
Le projet proposait donc d’implanter une plateforme collaborative pouvant être utilisée par tous les employés du réseau, donc également par les employés ayant une incapacité.
Le promoteur du projet était le Comité d’adaptation de la main-d’oeuvre (CAMO) pour personnes handicapées, un comité d’intégration et de maintien en emploi pour les personnes handicapées au Québec ayant pour mission l’élaboration et la mise en oeuvre d’une stratégie d’intervention pour favoriser l’accès au marché du travail et assurer le maintien en emploi des personnes handicapées.
Communautique est une organisation visant l’appropriation des TIC par les groupes communautaires au Québec et travaillant sur plusieurs dossiers majeurs dont ceux concernant les enjeux liés à la fracture numérique, le développement du gouvernement en ligne, l’innovation sociale par les TIC, etc. Compte tenu de leur grande expertise en ce qui a trait à la formation d’organismes communautaires à l’utilisation des TIC, Communautique avait le mandat de voir à la formation des participants tout au long du projet.
L’AQRIPH a fournit le terrain d’expérimentation, mandatant des participants des 19 coalitions régionales pour participer au projet et en faire la promotion au sein du réseau.
M3K Solutions, une firme technologique québécoise spécialisée en matière de technologies collaboratives, a fourni la plateforme, a travaillé avec des consultants pour voir à son adaptation et a fourni un support technique tout au long du projet.
Finalement, ce projet a été financé par le Fonds national de formation de la main-d’œuvre (FNFMO) du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale du Québec voué au renforcement des capacités et à la qualification de la main-d’œuvre québécoise. Le FNFMO a créé un fonds pilote afin d’expérimenter des stratégies de e-learning. Neuf projets ont été financés dont le projet PHARE qui a reçu 250,000 $ pour cette expérimentation.
Ce projet a été réalisé de janvier à novembre 2005. Les coalitions membres ainsi que le siège social de l’AQRIPH ont tous délégué un ou deux participants : une quarantaine de personnes ont donc participé à la formation. Parmi ceux-ci, trois personnes avaient une déficience visuelle et utilisaient des technologies d’assistance, trois autres avaient des incapacités physiques importantes et une personne avait une déficience auditive. J’aimerais pouvoir dire que davantage de personnes handicapées ont participé à la phase initiale mais, comme nous le savons, les employés handicapés sont largement sous-représentés dans leurs propres organisations, ce qui est une toute autre histoire.
Deux formateurs avaient le mandat de suivre les participants tout au long du projet. Deux rencontres « physiques »ont été organisées : une au début afin de présenter la plateforme et son fonctionnement de base et une à la fin afin d’obtenir une rétroaction de la part des participants sur l’ensemble de la démarche.
Des modules d’apprentissage en ligne (calendrier d’activités commun, gestion de tâches, gestion de documents, forum de discussion, etc.) ont été expérimentés par les participants. Un exercice pratique concernant une activité réelle a aussi été expérimenté afin de démontrer l’utilité de la e-collaboration. L’activité choisie par les participants a été de collaborer à la production d’une plateforme de revendications qu’ils devaient préparer pour la Journée internationale des personnes handicapées le 3 décembre.
Un des plus gros défis de ce projet concernait la culture organisationnelle du réseau de l’AQRIPH. Tel que mentionné précédemment, ces organisations ont l’habitude de travailler presque exclusivement avec le courriel et plusieurs ne connaissaient pas et n’avaient jamais travaillé avec une plateforme collaborative. Aussi, les employés présentaient des niveaux de compétences différents en ce qui a trait à l’utilisation des TIC, bien que la majorité ait les compétences de base.
Ces organismes ont peu de temps et de ressources à consacrer à l’apprentissage de nouvelles compétences ou à l’adaptation de nouveaux environnements de travail. Ils ont également un roulement de personnel élevé dans la mesure où les programmes gouvernementaux qui financent leurs activités sont souvent temporaires. Un autre fait important à noter est qu’en raison d’un financement limité, plusieurs de ces organisations ferment boutique pendant l’été, entraînant ainsi la suspension des activités de formation pendant environ deux mois. Il fallait donc motiver à nouveau les participants et rappeler certaines notions d’apprentissage lorsque les activités ont recommencé au début de l’automne.
Finalement, l’AQRIPH, étant un réseau du milieu communautaire, est très différent du secteur commercial où des outils tels que cette plateforme sont utilisés. En somme, ces organismes se sont habitués à travailler d’une certaine manière par nécessité et changer leurs façons de communiquer et de collaborer a soulevé une certaine résistance.
Dans cette perspective, le projet a ciblé des fonctionnalités et des applications visant à valoriser la plateforme comparativement à la simple utilisation du courriel. Le projet a aussi fait appel à Communautique qui possède une grande expertise en ce qui a trait à la formation d’organismes communautaires à l’utilisation des TIC.
L’autre défi majeur concernait l’outil de collaboration choisi pour le projet : la plateforme Synkro™, développée par la firme québécoise M3K Solutions, basée sur une technologie IBM. Les deux raisons de l’utilisation de cette plateforme sont les suivantes :
La plateforme elle-même n’avait au départ aucune caractéristique d’accessibilité et utilisait de façon importante JavaScript. Il était impossible de vraiment savoir d’avance à quel point la plateforme était adaptable avant de « regarder sous le capot » (et notre droit de regard était limité puisqu’il s’agissait d’une technologie propriétaire).
Face à ce défi, le projet a fait appel à des consultants ayant une expertise en matière d’accessibilité afin de soutenir la firme dans l’adaptation de la plateforme. Bien qu’il n’ait pas été possible de rendre la plateforme conforme aux normes WCAG, il a été possible de la rendre utilisable par l’ensemble des participants, y compris ceux utilisant des technologies d’assistance, afin de répondre à leurs besoins pratiques. Il faut cependant dire que des choix difficiles ont dû être faits :
Pour nous au Québec, la création de cette communauté virtuelle représente un projet très innovateur dans le domaine des TIC, rassemblant des partenaires des milieux publics, communautaires et privés afin d’aider les organisations de personnes handicapées à devenir plus efficace et compétitive en ce qui concerne la gestion de l’information et ainsi contribuer à ce que ces organisations puissent mieux desservir notre communauté.
Et comme on l’a vu précédemment, bien qu’il n’ait pas été possible d’adapter la plateforme pour qu’elle respecte l’ensemble des normes du W3C, il a été possible de l’adapter suffisamment afin qu’elle soit utilisable par tous les participants sans compromis significatifs en ce qui concerne les tâches à accomplir pour atteindre les objectifs de travail.
La plateforme est utilisée par le réseau et, grâce à la formation et à l’utilisation de l’outil, son utilisation a permis de rapprocher les organisations.
Le projet a également permis à Communautique de développer son expertise en matière de stratégies de formation de personnes handicapées et cette expertise représentera une ressource précieuse pour notre communauté.
De manière organique et spontanée, un mentorat a été mis en place dans certaines organisations afin de former d’autres employés ne figurant pas dans le groupe initial du projet PHARE et quelques organisations locales ont déjà commencé à se servir de la plateforme (ce qui valida nos objectifs pour les orientations futures).
La mise en place de cette communauté virtuelle ne sera pas un obstacle à l’embauche future d’employés handicapés par le réseau.
Finalement, ce projet a permis de sensibiliser davantage ces organisations aux enjeux liés à l’accessibilité des TIC.
Une demande de financement triennal a été déposée au Bureau des technologies d’apprentissage du gouvernement du Canada. Si la demande est acceptée, nous débuterons la deuxième phase qui concerne le déploiement de la communauté virtuelle au sein des 350 organismes membres locaux.
Il subsiste des questions sur la nécessité de changer de plateforme. L’utilisation de A-Collab a été suggérée, mais des questions demeurent sur la capacité de ce réseau de maintenir une plateforme en libre puisque ces organisations ont peu de ressources et de connaissances techniques pour assumer cette responsabilité. Cependant, on songe déjà au sein de ces organisations à former un comité de travail regroupant les employés plus avancés sur le plan des connaissances technologiques afin de soutenir le réseau à ce niveau.
En somme, malgré certains obstacles, on peut dire que l’avenir semble positif pour cette communauté virtuelle et il y a certainement du potentiel pour aller plus loin.